FNA 1615 - Le voleur d'iceberg by Serge Brussolo

FNA 1615 - Le voleur d'iceberg by Serge Brussolo

Auteur:Serge Brussolo [Brussolo, Serge]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


CHAPITRE VIII

A partir de ce jour il mena sa carrière avec une dextérité dont il ne se serait jamais cru capable. Son premier coup de maître fut d'ouvrir sa propre joaillerie et de s'entourer de techniciens de haute volée. Il fournissait les pierres, ses ateliers les transformaient en somptueuses parures.

Les commandes affluèrent, et avec elles l'argent des grands de ce monde. Dan ne souffrait d'aucune concurrence car personne n'était en mesure de livrer des pièces d'une transparence aussi exceptionnelle.

On murmura les légendes les plus farfelues, on évoqua les mines perdues de l'Eldorado. On raconta que Dan avait mis la main sur le filon le plus fabuleux qui ait jamais existé. On l'espionna. Il dut faire retraite, se cacher, s'entourer de gardes du corps.

La nuit, parfois, d'horribles crises de vertige le terrassaient, lui, l'ancien voyageur du cosmos, et il courait s'enfermer dans un placard pour fuir cette sensation de chute sans fin. Les domestiques feignaient de ne pas remarquer ces lubies d'homme riche et éludaient le problème en émettant l'hypothèse de séquelles paludéennes dues à une vie de prospection au fond des jungles les plus sauvages.

Dan continua à dormir, les dents serrées sur son impossible secret. Il avait bâti sa fortune sur quelques gouttes d'eau non potable !

A travers le monde, des nababs dépensaient des sommes fabuleuses pour acquérir de simples cubes de glace qu'ils enfermaient ensuite au fond de leurs coffres-forts. Les divas, les princesses, ouvraient des bals fastueux, le cou ceint de grêlons. Des rois, des reines, arboraient des couronnes faites de glaçons sertis dans l'or le plus pur ! Les bijoutiers exposaient, sur des écrins de velours, derrière des vitrines blindées hérissées de signaux d'alarme, des tiares, des diadèmes composés de glace pilée ! L'escroquerie prenait une dimension abyssale. La dérision confinait au sublime.

En l'espace d'une année, Dan devint l'un des hommes les plus riches de la planète. Il n'avait pourtant pas écoulé le dixième des copeaux de banquise ramenés de son naufrage sur AMH 435. Avec le contenu d'un seau à Champagne, il aurait pu acheter un pays avec ses industries et l'âme de ses habitants. Sa conscience, assimilant fort mal ce renversement de valeurs, le bombardait de rêves grotesques dans lesquels les réfrigérateurs débordaient de billets de banque, la nourriture surgelée se trouvait empaquetée dans des bons du Trésor, et où les barmen rafraîchissaient les cocktails en y laissant fondre de minuscules lingots d'or.

Les mois passaient. Dan oscillait entre la satisfaction béate et d'affreux accès d'angoisse agrémentés de brèves hallucinations. Il lui semblait impossible que la supercherie ne fût pas tôt ou tard découverte. Pourtant les risques étaient infimes, mais il sentait au fond de lui monter une irrépressible certitude de catastrophe. Il se répétait qu'il était allé trop loin dans l'outrance pour ne pas en subir le contrecoup.

Il aurait pu aisément disparaître, puisque sa fortune autorisait tous les stratagèmes, au lieu de cela il se mit à attendre, allant jusqu'à provoquer le destin en jetant sur le marché des « pierres » énormes, dont le volume même était une insulte à la vraisemblance.



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